Radio SCOOP : En remportant le Ballon d'Or 2022, Karim Benzema est-il devenu l'un des meilleurs joueurs français, au même titre que Zinedine Zidane et Michel Platini ?
Sidney Govou :
C'est compliqué ! Ça veut dire quoi, être le meilleur ? Est-ce celui qui a remporté le plus de titres ? Est-ce le meilleur footballistiquement parlant ? Aujourd'hui, Benzema n'est pas le meilleur joueur français dans l'absolu. Zidane a gagné une Coupe du Monde et une Coupe d'Europe, Platini a gagné un Euro et trois Ballons d'Or… Pour faire partie des meilleurs des meilleurs, il y a la qualité du joueur, mais il y a aussi les trophées et ce que tu as rapporté à ton pays. Et aujourd'hui, Platini et Zidane ont plus rapporté à la France que Karim. Mais du point de vue du football, je mets Karim dans les cinq meilleurs.
Radio SCOOP : Dans votre livre, vous abordez les défis du foot d'aujourd'hui : le racisme, les nouvelles technologies, les clubs-États, les supporters… Le football était-il mieux à votre époque de joueur ?
Sidney Govou :
Non, je ne considère pas que c'était mieux avant. Et ce sera différent après. Je pense surtout qu'on vit une époque difficile, où tout est amplifié. Ce n'est pas le foot qui est mieux ou moins bien, c'est ce qui se passe dehors, qui commence à irriter tout le monde. Et quand on est irrité, on prend des mauvaises décisions, et le foot n'y échappe pas. Un joueur de foot d'aujourd'hui dira sûrement qu'il vit la meilleure partie de sa vie. Quand tu es dans le milieu, tu es dans ta bulle et tu n'as pas de recul sur ce qui se passe autour de toi, et dix ans plus tard, tu peux te rendre compte que tu as traversé une époque compliquée. Le foot est le reflet de la société, et quand les supporters vont au stade, c'est un exutoire, ce qui était un peu moins le cas avant. On se rend compte que plus il y a de passions, plus cela devient compliqué à gérer. Je pense que les gens sont de plus en plus passionnés de foot, parce que cela leur permet d'évacuer ce qu'il y a dans leur semaine. J'ai joué en Grèce, et ce que je vois aujourd'hui en France, je le vivais là-bas. Ils étaient en pleine crise économique et quand ils allaient au stade, c'était très violent ! Les interdictions de stade ou de déplacements de supporters, là-bas, c'était déjà le cas, et en France, ça arrive maintenant.
Radio SCOOP : Pourquoi l'Olympique Lyonnais ne gagne-t-il plus de titres, alors que vous en gagniez tous les ans ?
Sidney Govou :
Parce que tu en as déjà gagné beaucoup, et qu'il faut accepter, à un moment, que d'autres en gagnent à ta place. Parce que tu étais avant-gardiste, et que tu as fini par stagner, faute d'avoir fait ton auto-critique régulière. Parce que tu as pensé que ton système était toujours le bon, sans voir que ceux d'à-côté l'ont copié et même amélioré. Ça concerne autant les joueurs recrutés que les dirigeants, le fonctionnement du club ou de l'académie. Le club a vécu à un certain niveau et a oublié qu'il fallait avoir une remise en cause, une auto-analyse lucide.
"Gagner, ce n'est pas normal", de Sidney Govou et Edward Jay, aux éditions "Les Passionnés de Bouquin" (une maison d'édition lyonnaise, basée à Craponne).