"Surtout, il faut de la volaille de Bresse !"
Sur la table de sa cuisine, elle dispose les quatre éditions du livre de recettes. "Elles sont de meilleures en meilleures je trouve", commente-t-elle, lunettes au bout du nez. La première édition sort en 1977, quelques mois seulement après la mort d'Eugénie.
Plus de quarante années ont passé. Au fil des pages, on retrouve les même recettes un peu plus détaillées, des photos de famille et des préfaces : celle de Paul Bocuse formé par la mère Brazier tout comme Bernard Pacaud, chef du restaurant trois étoiles l'Ambroisie à Paris. Le tout remanié par l'arrière-petite-fille d'Eugénie Brazier, Marion, directrice artistique.
De quoi se lancer dans des plats qui ont fait la renommée d'Eugénie Brazier : fonds d'artichauts au foie gras, quenelle au gratin, poularde de Bresse, galette bressane... Des viandes, des poissons, des légumes, des sauces et des desserts. "Ce livre, il passe les années. C'est un peu comme un dictionnaire", explique Jacotte Brazier.
Sa recette préférée ? "Ah ce n'est pas compliqué : la volaille demi-deuil !"
Mais attention, pas n'importe comment. "Surtout, il faut de la volaille de Bresse, qui a un goût différent des autres", prévient-elle. "Ma grand-mère disait toujours, c'est facile de faire de la bonne cuisine avec des bons produits !" Avant de la mettre dans l'eau bouillante salée, il faut y plonger toute une ribambelle de légumes : carottes, poireaux, navets, céleris...
"Bon, naturellement, nous on met des truffes entre la chaire et la peau", ajoute Jacotte Brazier. "Tout le monde ne peut pas se le permettre mais le plus important c'est la volaille !" Là-dessus, quelques cornichons et voilà le travail. Quant à la sauce, petit conseil perso : "moi je touille de la moutarde dans du bouillon. Et c'est délicieux."
Une femme dans un monde d'homme
Jacotte Brazier n'est pas une cuisinière comme sa grand-mère, elle se définit plutôt comme "une goûteuse professionnelle." Pendant plus de 30 ans, elle a géré le restaurant historique de la mère Brazier rue Royale à Lyon. Aujourd'hui, elle continue de soutenir des apprenties cuisinières à travers son association.
"On me demande parfois pourquoi je n'aide que les femmes, et je réponds que encore aujourd'hui, le monde de la restauration et le monde de la cuisine, c'est un monde très fermé. Encore maintenant. Alors j'essaie de donner ce que je peux. Je dis toujours, mesdemoiselles ayez confiance en vous !"
Jacotte Brazier le sait, pour s'imposer derrière les fourneaux, il faut du caractère. "Ma grand-mère en avait, mais elle a aussi toujours été soutenue par son amoureux, il l'a beaucoup aidé."
Aujourd'hui encore, tout n'est pas idéal admet Jacotte Brazier. Sur le harcèlement qui vise les femmes en cuisine par exemple, sa position est claire. "Si les chefs, les restaurateurs ne sont pas extrêmement sévères là-dessus, on y arrivera pas. Moi j'avais des filles en cuisine, et bien ça a été vite fait : j'ai dit au chef, c'est votre responsabilité, je n'admettrai jamais que vous laissiez passer ça."
L'année prochaine, le restaurant de la rue Royale fêtera ses 100 ans d'existence. Après une année bouleversée par l'épidémie, Jacotte Brazier a dit au chef Mathieu Viannay dont elle vante l'excellence : "je te donne encore quelques mois, il faut que tu aies trois étoiles et 100 ans !"
